Les citoyens doivent être au cœur de la démocratie
Christian MAUREL Sociologue et cofondateur du collectif national Education populaire et transformation sociale 18 février 2014
Alors que la confiance des Français en leurs représentants est au plus bas, certains citoyens s'engagent et montrent q'une autre façon de «faire de la politique» est possible.
Selon une enquête du CEVIPOF de fin 2013, le «baromètre de la confiance politique» est au plus bas. Un seul chiffre : 87% des sondés jugent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent. Comment ne pas s’inquiéter de cette anormalité de notre fonctionnement démocratique ?
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Si comme le disait Sieyès en 1789, «le peuple ne peut parler et ne peut agir que par ses représentants», où est donc aujourd’hui le peuple quand bon nombre de nos concitoyens ne se reconnaissent plus dans leurs représentants même quand ils ont contribué à les faire élire ?
La situation est grave. Ayons l’audace, la clairvoyance et l’intelligence de donner la parole aux Français, d’organiser des Etats généraux de la transformation sociale et politique appuyés sur des cahiers de doléances et de propositions qui déboucheraient sur une assemblée constituante. Le monde ne peut rester longtemps en l’état. Il est urgent que les hommes et les femmes reprennent leur destin en main et s’engagent dans une démocratie contributive et délibérative qui nous ferait sortir des errements d’une démocratie élective à bout de souffle.
«Un million de révolutions tranquilles»
Certains citoyens n’ont pas attendu. Ils sont déjà au travail sur ce que pourrait être la société de demain, et ce dans tous les domaines : production et partage de la richesse, élaboration des lois et des politiques publiques, éducation initiale, permanente et populaire, environnement, participation à la vie sociale et associative… Pour le dire avec les mots de Bénédicte Manier, ne passons pas à côté de ce «million de révolutions tranquilles» qui indiquent qu’un monde nouveau est en train de naître dans l’ancien. A titre d’exemple, l’Université Populaire du Pays d’Aix-en-Provence conduit un travail de réflexion qui devrait aboutir à une écriture collective autour de deux questions d’une grande actualité : quelle(s) alternative(s) démocratique(s) à la délégation de pouvoir ? A quelles conditions les Hommes peuvent-ils construire leur devenir et faire l’Histoire ?
Que des citoyens «ordinaires» mais riches de leur expérience s’autorisent, sans se laisser faire la leçon par des experts, à penser le monde et à le construire, indique qu’il y a d’autres manières de «faire de la politique». Que proposent-ils ?
Ils proposent précisément de mettre en mouvement les différentes composantes du corps social par ce processus d’Etats généraux conduisant à une constituante qui redéfinirait les droits humains et civiques fondamentaux et rendrait caduques les procédures qui ont fait la preuve de leurs limites, voire de leur perversion. L’acte démocratique (décision après expression, analyse, débat contradictoire, délibération et arbitrage) porterait sur l’élaboration, par les citoyens, des orientations politiques, des programmes et des projets de lois qui feraient l’objet de votes. S’agissant des personnes mandatées, elles pourraient être choisies par le tirage au sort parmi les personnes volontaires impliquées dans l’élaboration et le vote des orientations, programmes et lois. Les mandats seraient courts, sans cumul, respecteraient strictement la parité hommes/femmes et seraient assortis de procédures de révocation respectueuses des individus et du droit.
Esprit critique
En faisant porter l’acte démocratique sur l’essentiel, à savoir l’élaboration et la validation citoyenne des projets de lois et des programmes, les individus ne se dessaisissent pas de leur puissance d’agir. Nous aboutissons ainsi à une proposition inverse à celle de la pratique délégataire actuelle par laquelle le peuple est amené à aliéner sa souveraineté à des élus qui bien souvent ne représentent que 20% de l’électorat mais qui, malgré cela, s’autorisent de cette faible légitimité pour décider sans contrôle. Ainsi, ces propositions non violentes sont plus révolutionnaires qu’il n’y paraît. Elles donnent des missions nouvelles à l’Ecole, celles d’une formation et d’une émancipation politiques, également, aux associations de jeunesse et d’éducation populaire qui seraient appelées à devenir des laboratoires d’expérimentation de la pratique démocratique. Les syndicats, mouvements sociaux et partis politiques auraient pour tâche d’alimenter la réflexion des citoyens, salariés et usagers, d’aiguiser leur esprit critique et de leur permettre d’agir dans l’espace public pour y défendre leurs droits et en créer de nouveaux.
Affirmons-le haut et fort : rien ne sera possible sans les citoyens ni sans leurs approches souvent discordantes et contradictoires mais dont toute l’intelligence collective sera de savoir les fertiliser. C’est dans l’arbitrage délibéré des conflits que se construiront un nouvel imaginaire social et une conception de la démocratie qui, loin de se limiter à un mode de gouvernement parmi d’autres, devra être pensée et pratiquée comme l’engagement d’individus devenus enfin des sujets politiques venant déborder, subvertir et transformer les logiques sociales en place.
On peut taxer ces propositions d’utopiques et les juger inadaptées aux urgences socio-économiques générées par la crise. Cependant, elles nous mettent devant un choix : gérer au mieux les contradictions d’intérêts du moment en pacifiant leurs effets potentiellement destructeurs, ou regarder, à la fois au plus près et au plus loin, et entendre tous ces bruissements du social porteurs d’aspirations nouvelles. C’est pour n’avoir pas eu cette oreille attentive et avoir trop et trop longtemps écouté ses courtisans que Louis XVI se trouva fort dépourvu quand la bise fut venue.
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