Paul Watson : « C’est la nature qui réglera le problème »
9 avril 2015
« Pirate écolo », « éco-terroriste », « berger
des mers », « Robins des Bois des océans », Paul Watson suscite les
passions. Ancien de Greenpeace, fondateur de la Sea Shepherd’s
Conservation Society, il s’est fait connaître par ses actions directes
visant à empêcher les braconniers de pêcher des espèces protégées. Paul
Watson séjourne actuellement en France.
Et voici trois jours, Sea Shepherd a remporté une victoire,
avec le sabordage du Thunder, un navire chassant illégalement la
légine.
Vous êtes poursuivi par Interpol. Êtes-vous, en France, un réfugié ?
Oui. Le Japon essaie de m’attraper alors c’est difficile de voyager,
mais je suis libre de venir en France et aux États-Unis. Un mandat
d’arrêt international a été émis par le Costa Rica, donc quand j’entre
dans un nouveau pays, les autorités qui le lisent peuvent m’arrêter et
m’envoyer au Japon sans se poser de question, ou alors ils peuvent s’en
moquer et me laisser tranquille. Leur décision est imprévisible. Mais la
France n’a jamais reconnu ce mandat. Et puis j’ai bénéficié de soutiens
[notamment celui de Nicolas Hulot, ndlr].
Quelle est l’origine de ce mandat d’arrêt ?
Le Costa Rica a émis un mandat contre moi une semaine après avoir
rencontré le premier ministre du Japon, en se fondant sur des faits qui
ont eu lieu en 2002.
Ils m’accusent de « manœuvre dangereuse d’un navire » (reckless
operation of a vessel) au Costa Rica et de « conspiration d’abordage »
(conspiracy to trespass) au Japon. De ce fait, j’ai été inscrit sur la
liste rouge d’Interpol. Or personne n’a jamais été placé sur cette liste
pour ce genre de motifs, qui sont des délits mineurs.
Personne n’a été blessé, rien n’a été abîmé ou endommagé. Cela n’a aucun
sens ! Cette liste est faite pour les tueurs en série et les criminels
de guerre. La France et les États-Unis l’ont bien compris, ils me
laissent tranquille. La Cour internationale de justice avait émis un
jugement en notre faveur, mais cela n’a rien changé. Le Japon fait ce
qu’il veut.
Concrètement, ils veulent ma tête parce que nous les avons empêché de
tuer illégalement des baleines dans l’océan Antarctique, ce qui
représente des pertes de plusieurs dizaines de millions de dollars pour
les armateurs.
Quel est l’objectif de la Sea Shepherd’s Conservation Society (Société de conservation Berger de la mer) ?
J’ai fondé Sea Shepherd en 1977 pour soutenir des lois de préservation
de l’environnement au Canada. Nous luttons contre le braconnage, nous
intervenons contre les activités illégales. Les lois, règles et traités
nécessaires à la protection des océans existent, mais les gouvernements
refusent de les faire appliquer pour des raisons politiques et
économiques. Quel est l’intérêt de faire des lois si personne n’en fait
rien ? Nous nous servons de la loi pour intervenir sur les mers, en tant
que conservateurs marins concernés et compatissants.
Aujourd’hui, 40 % de ce qui est pêché l’est de manière illégale. Face à
cela, nous rassemblons les preuves de l’illégalité des pêcheurs, puis
nous bloquons leurs opérations afin qu’ils arrêtent.
On peut mesurer nos résultats par le nombre d’animaux marins qui n’ont
pas été pêchés ou tués grâce à nous. Depuis 2006, cela représente par
exemple 6 000 baleines épargnées. Ce n’est pas suffisant, la seule
manière de sauver les océans est que les gouvernements s’organisent,
coopèrent et utilisent leurs marines.
Comment se fait-il que les États ne fassent rien pour faire appliquer les législations internationales sur la pêche ?
Cela n’apporterait rien aux politiciens, et la pêche rapporte de
l’argent. En Afrique, les bateaux qui se font arrêter pour pêche
illégale paient des amendes proportionnelles à leurs profits : c’est
juste un moyen de faire des affaires pour les États.
L’année dernière, le Thunder a été arrêté en Malaisie avec des millions
de dollars de pêche à bord : il a dû payer une amende de 90 000 dollars
australiens, puis a pu repartir avec sa cargaison. Par ailleurs, ce
navire est sous pavillon nigérian mais appartient à une entreprise
espagnole qui reçoit trois millions d’euros de subventions de l’Union
européenne.
Quelles sont les campagnes en cours de Sea Shepherd ?
Cela fait 82 jours [au 11 mars] qu’un de nos bateaux, le Bob Barker,
poursuit un braconnier, le Thunder. Ce navire braconne de la légine
australe et figure sur la liste mauve d’Interpol pour pêche illégalle.
L’affaire est en cours d’instruction. Notre second bateau sur cette
campagne, le Sam Simon, a confisqué leurs filets et les a donnés à
Interpol sur l’île Maurice. C’est la plus longue poursuite qui ait
jamais été menée contre un braconnier. Il ne sait plus où aller car nous
le suivons en permanence et nous dénonçons sa position aux autorités.
Un zodiac de Sea Sheperd en action
On vous reproche d’utiliser la violence. Que répondez-vous ?
Depuis 1977, nous n’avons pas causé la moindre blessure à quiconque.
Nous sommes une organisation profondément non-violente. Le problème est
que personne n’interroge les gens qui font preuve de violence contre
nous : défendre la propriété par la violence ne leur pose pas de
problème. C’est la nature du monde dans lequel nous vivons : la
propriété est un droit qui prime sur tout le reste.
On vous qualifie aussi de pirate. Qu’est-ce qu’un pirate selon vous ?
Au XVIIe siècle, il n’y avait pas de marine britannique aux Caraïbes
pour arrêter les pirates, et c’est Henri Morgan, lui-même pirate, qui
faisait la police. Pourquoi ? Parce que les gouvernements et la marine
britanniques étaient corrompus. La piraterie s’était développée parce
que les pirates payaient tous les responsables au pouvoir.
La situation n’est pas différente aujourd’hui. Les gouvernements sont
corrompus, la piraterie s’épanouit. Alors ils prennent des bons pirates
pour lutter contre les mauvais pirates. L’histoire regorge de « bons »
pirates. Il y a plein de gens que les Anglais voient comme des héros et
qui étaient des pirates.
Pourquoi est-il si important de défendre les océans ?
Si les poissons disparaissent, les océans mourront. Si les océans meurent, nous mourrons tous dans les dix années suivantes.
Les océans constituent le système vital de la planète. Ils régulent la
température et produisent 80 % de l’oxygène que nous respirons. Tout est
interdépendant, et si vous cassez les équilibres, tout s’effondre et
vous vous retrouvez avec des océans remplis de méduses : le fait
qu’elles soient si nombreuses aujourd’hui est un symptôme de
l’effondrement des écosystèmes.
En réalité on ne tolérerait jamais sur terre ce qui se passe sur les
mers. On ne tolérerait pas que n’importe quel animal terrestre soit
traité comme le sont les animaux marins. Par exemple, aux Îles Féroé,
ils piègent des bancs de dauphins pour les tuer : cela reviendrait sur
terre à poursuivre des animaux pendant des dizaines de kilomètres et à
en abattre le plus possible.
Les océans sont aussi menacés par la pollution, le réchauffement climatique, etc. Que pouvez-vous faire face à cela ?
Sea Shepherd ne peut rien contre le changement climatique. Ce sont les
gouvernements qui doivent agir. Le problème est que personne ne veut
changer ses habitudes. Les gens ne vont pas abandonner leurs voitures,
leurs avions, leur niveau de vie, même s’ils savent que tout cela va
bientôt disparaître. Ils pensent que ce n’est pas leur problème, que
c’est celui de leurs enfants.
Cela dit, Sea Shepherd est engagé dans la lutte contre la pollution des
océans par le plastique. Nous avons un programme, le Vortex Project qui
consiste à collecter et recycler le plastique des océans.
Que faire lorsque certaines activités destructrices de l’environnement sont légales ?
Malheureusement, aujourd’hui, la plupart des lois sont faites pour
protéger les entreprises, pas l’environnement ni les êtres humains.
Aux États-Unis, il existe une loi appelée « Animal enterprise terrorism
act » [loi sur le terrorisme en direction d’entreprises de commerce
animal]. Si vous manifestez contre la pêche au thon, par exemple, en
brandissant une pancarte ou en créant un site web, vous êtes considéré
comme un terroriste.
En fait certains hommes politiques considèrent les environnementalistes
comme plus dangereux que les terroristes. La législation devient de plus
en plus répressive, au point que bientôt le simple fait de s’opposer à
quelque chose sera considéré comme du terrorisme. C’est déjà le cas au
Canada : si vous vous opposez publiquement à des projets de
développement, vous êtes fiché comme terroriste. Ce qu’avait prédit
George Orwell dans 1984 est en train de se réaliser.
Personne ne proteste contre ces lois ?
Les gens sont facilement manipulés. Au Canada, les politiciens se
servent de la menace d’attaques terroristes – qui n’ont jamais eu lieu –
et de la peur pour faire passer leur programme, qui consiste notamment à
arrêter les défenseurs de l’environnement. Ils exploitent l’extrémisme
islamique afin d’agir contre les environnementalistes.
Comment pensez-vous peser sur les discussions ?
Notre objectif est de montrer comment les problèmes des océans
contribuent au changement climatique. Par exemple, historiquement, les
baleines ont eu une contribution importante à la réduction des gaz à
effet de serre : elles rejettent des quantités importantes de fer dans
leurs excréments, ce qui favorise le développement du plancton, qui
lui-même produit de l’oxygène.
Qu’attendez-vous de la COP 21 ?
Il n’y a rien à attendre de la Chine, l’Australie, les États-Unis et le
Canada. Le seul espoir vient de l’Europe qui pourrait jouer un rôle de
meneur. Et comme la conférence est accueillie par la France, j’espère
que ce pays prendra le leadership. Mais si rien ne se passe…
Depuis 1972 et la première conférence environnementale à Stockholm, il
n’en est jamais rien sorti. C’est une perte de temps, d’argent,
d’énergie. Mais les politiciens en sont très contents car ils peuvent
dire : « Regardez ce qu’on a fait, on a discuté, écrit des textes, et on
s’est mis d’accord sur le problème ! »
L’État de Floride vient d’interdire de prononcer les mots « changement
climatique » ou « réchauffement climatique » à propos de l’élévation du
niveau de la mer. Alors qu’ils viennent d’engager 154 millions de
dollars pour lutter contre la montée des eaux en Floride, qui est le
premier État à être affecté. Ils dépensent de l’argent pour faire face
aux conséquences, mais ça ne les intéresse pas de connaître les causes.
Aux Etats-Unis, James Inhofe s’occupe des questions de changement
climatique en tant que président de la commission environnement du
Sénat. Et bien il ne croit pas au changement climatique ! Il croit que
Dieu ne laissera jamais cela se produire.
En février, il est arrivé au Congrès avec une boule de neige, et l’a
montrée à tout le monde en disant : « Regardez, ceci est la preuve qu’il
n’y a pas de réchauffement climatique ». Ce type est dingue. Et il est
en charge des questions climatiques ! La droite américaine est tout
simplement composée de fanatiques religieux idiots. On ne peut pas
parler rationnellement avec ces gens-là.
Paul Watson avec l’équipage du Farley Mowat en 2005
Êtes-vous pessimiste ?
Sur la politique, oui. Dans la population il y a des mouvements, mais
pas dans la politique. Ce sont les mouvements sociaux, chargés de
passion, qui font les révolutions. Puis les politiciens s’adjugent les
honneurs. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que si les gens ne font rien
pour changer la situation actuelle, la nature le fera pour nous. Ce sont
les lois de base de l’écologie, on ne peut pas les dépasser. Et cela
aura des conséquences catastrophiques.
Quelle vision avez-vous du rapport entre les hommes et la nature ?
Pour espérer survivre dans le futur, nous devons développer une éthique
biocentrée : nous appartenons au même ensemble que les animaux, nous ne
sommes qu’une partie du monde vivant. Depuis dix ou douze mille ans, les
civilisations humaines ont cru qu’elles étaient au-dessus du reste, que
nous les hommes étions supérieurs à tout ce qui existe et formions le
centre de la création. C’est un point de vue erroné. La plupart des
espèces dont nous avons besoin (vers de terre, abeilles, fleurs,
arbres…) n’ont pas besoin de nous. Si les abeilles disparaissaient par
exemple, ce serait une catastrophe, des dizaines de milliers de
personnes en mourraient.
Nous devons avoir une relation avec le monde vivant en nous considérant
comme une partie de ce monde. Ce sont les lois de l’écologie :
. la diversité : la force d’un écosystème c’est sa diversité ;
. l’interdépendance : toutes les espèces sont dépendantes les unes des autres ;
. les ressources naturelles : il faut limiter notre croissance, limiter
nos capacités en fonction de la limitation des ressources terrestres.
Actuellement nous volons les ressources des autres espèces, ce qui
entraîne leur disparition. En raison de l’interdépendance, cela conduira
à la disparition de la totalité du vivant.
Dans ces questions d’équilibre et d’interdépendance, comment situez-vous l’élevage animal et de production de viande ?
La population humaine est de sept milliards et demi d’individus, celle
des animaux d’élevage (vaches, moutons, porcs, poulets) est de plusieurs
milliers de milliards. Les bêtes sauvages ne représentent plus qu’un
pourcentage très faible du nombre total d’animaux. Les animaux d’élevage
constituent la majeure partie de la biomasse.
Et 40 % de la pêche mondiale sert à nourrir les animaux d’élevage et les
animaux domestiques. L’ensemble des chats domestiques consomment plus
de poisson que l’ensemble des phoques, les porcs en consomment plus que
les requins, les poulets plus que les albatros.
L’industrie de la viande est la première consommatrice d’eau potable
ainsi que la première contributrice au réchauffement climatique, devant
l’industrie automobile [un rapport de la FAO en 2006 évalue la
contribution de l’élevage dans les gaz à effet de serre à 18 %, un autre
rapport parle lui de plus de 51 % pour l’ensemble de la filière]. Un
végétarien qui conduit un gros 4X4 émet moins de gaz à effet de serre
qu’un omnivore qui roule en vélo.
Le film Cowspiracy explique que produire un hamburger demande 800 litres
d’eau D’après un rapport rédigé en 2004 pour l’Institut d’éducation sur
l’eau de l’UNESCO, il faut 2 400 litres d’eau pour produire un
hamburger, il en faut 15 000 pour un kilo de viande de boeuf, NDLR]. Et
quand les documentaristes se rendent dans les grandes organisations
environnementales et les interrogent sur l’industrie de la viande,
aucune d’entre elles ne soulève le problème.
Sea Shepherd est la seule organisation interrogée dans le film qui en
parle. Le service de gestion de l’eau en Californie partage aussi ce
constat : l’industrie de la viande est la première consommatrice d’eau
potable. Et quand on leur demande pourquoi ils ne font rien, ils
répondent : « Le public ne le permettrait pas. On ne peut pas en parler
parce que personne ne veut entendre ça ».
Cela signifie aussi que personne ne soutiendra financièrement les ONG
qui dénoncent le problème de la viande. Or une grande partie des
organisations environnementales font du business, elles doivent faire
rentrer de l’argent.
Le mouvement environnemental dans le monde est constitué des trois
millions de petites organisations locales qui font avancer les choses.
Pas des grosses organisations qui gèrent des milliards d’euros. Des
militants environnementaux sont tués en permanence sur le terrain, et
personne n’en parle.
Le bateau de Sea Sheperd sur la Seine
Arrêter l’élevage est-il une solution ?
C’est une des solutions, oui. Aujourd’hui les animaux d’élevage ne
pourraient pas survivre dans la nature. Ce sont des usines à lait ou à
viande. Elles consomment une quantité phénoménale de ressources. 60
litres d’eau pour produire un avocat, 800 pour produire un hamburger :
toutes ces terres et cette eau utilisées pour produire de la viande
pourraient servir à produire des légumes et des céréales.
Que pensez-vous de la chasse ?
Autrefois, quand la population humaine ne dépassait pas un million de
personnes, nous pouvions chasser et vivre en relative harmonie avec les
animaux. Mais avec sept milliards et demi d’individus, c’est ridicule !
Si chaque citoyen Américain exerçait son droit de chasser, en moins d’un
an il n’y aurait plus un seul cerf dans tout le pays. Donc chasser est
juste impossible, d’un point de vue comptable.
Comment voyez-vous le futur de la planète ?
Si la population continue de progresser à ce rythme, en doublant tous
les 60 ans, ça ne sera pas tenable. D’ici les 75 prochaines années, tout
va s’effondrer. Il n’y a pas assez de ressources pour assurer de l’eau,
de la nourriture et des ressources minérales pour une telle population.
Certains disent que la solution passe par l’élimination de la pauvreté
au niveau mondial, distribuer les ressources équitablement. Le problème
est que si les pauvres veulent vivre comme les riches, il faudrait trois
planètes. C’est impossible. L’autre solution consiste à demander aux
riches de devenir pauvres, mais ils n’accepteront pas ! Le riche ne veut
pas s’appauvrir, le pauvre ne veut pas rester pauvre mais devenir
riche…
La seule solution est de diminuer la population, mais comment y parvenir
? C’est une question très très difficile. Personne n’en est conscient,
les gens veulent avoir des enfants.
Il faudrait des décisions politiques pour limiter la natalité, mais cela
n’arrivera pas. Encore une fois, c’est la nature qui réglera le
problème.
– Propos recueillis par Baptiste Giraud (
Reporterre)